Une question de souveraineté monétaire en Zone Euro
Face à l’annonce par Facebook de son projet de monnaie digitale « Libra » et à l’émergence des crypto-monnaies comme le Bitcoin, la BCE avait communiqué son intention de jeter les bases d’une monnaie digitale. Elle fait un pas de plus dans cette direction avec la publication d’un rapport définissant les contours de l’Euro Digital.
L’enjeu est de taille. Il s’agit de renforcer le statut de l’Euro en tant que devise globale. Par la même occasion, la BCE doit se positionner comme le garant incontestable de la monnaie en Zone Euro.
L’initiative n’est pas isolée : La BIS rappelait en début d’année 2020 que le développement de devises digitales (CBDC, ou Central Bank Digital Currency) était un projet pour 80% des banques centrales, mais que seulement 10% avaient atteint un stade de « projet pilote».
L’Euro digital : une garantie directe de la BCE
Concrètement, qu’est-ce que l’Euro digital ? Du point de l’utilisateur final, il se rapproche d’un billet de banque dématérialisé et s’oppose donc aux Euros dématérialisés sur les comptes bancaires des banques commerciales qui eux, ne sont qu’un jeu d’écriture comptable et ne sont pas directement garantis par la banque centrale. Autrement dit, il ne s’agit pas de digitaliser les comptes bancaires mais le distributeur automatique de billets. Différence majeure : ce n’est plus la solvabilité des banques commerciales mais celle de la BCE qui garantit la subsistance des Euros digitaux.
Au-delà de la garantie directe de la BCE, le rapport met en avant de nombreux avantages :
- Participation au mouvement de digitalisation de l’économie européenne et déclin du rôle du cash.
- Alternative aux monnaies digitales commerciales qui émergent et à la concurrence d’autres banques centrales.
- Ouverture à de nouvelles méthodes de transmission de la politique monétaire qui ne transiterait plus nécessairement par les banques commerciales.
- Prévention contre le risque de rupture de service dans les paiements traditionnels (scénario « covid 19 » le billet devient un vecteur de transmission d’infections par exemple).
- Renforcement de l’euro comme devise globale (la BCE estime qu’en 2016, 30% du cash euro se situait en dehors de la zone euro).
- Diminution du cout d’usage de la devise euro et de son empreinte écologique.
Une monnaie digitale non disruptive pour le système bancaire
Le rapport dresse également une liste de lignes rouges à ne pas franchir :
- Ne pas concurrencer le dépôt bancaire et ne pas affaiblir le rôle d’intermédiation du système bancaire
- Etre un moyen de paiement, pas une forme d’investissement.
- Ne pas contribuer à la volatilité des capitaux.
- Pas d’euro digital sans « Cyber résilience ».
- Garantir le respect de la vie privée, bien que le papier de la BCE exclue la possibilité d’un anonymat total.
Il ressort du rapport que l’euro digital se veut notamment le moteur de croissance de solutions européennes de paiements en points de vente (POS) et entre pairs (P2P), dont l’offre s’est intensifiée et diversifiée sous l’impulsion des géants de la cyber-économie. Concrètement, il s’agit d’éviter que le consommateur européen règle ses dépenses quotidienne avec un Libra ou un Yuan digital.
Le mécanisme technique de détention et de transfert reste ouvert
Techniquement, comment l’euro digital pourrait fonctionner ? Concernant les mécanismes de transfert, la BCE envisage deux systèmes :
- soit l’utilisation de comptes traditionnels avec une tierce partie opérant le transfert,
- soit un transfert d’instruments de type token en direct entre l’émetteur et le destinataire d’un paiement. Dans ce cas, il est possible d’employer une technologie « blockchain », tout en conservant un rôle de supervision et de contrôle pour les intermédiaires régulés.
Plus généralement, le potentiel développement de l’euro digital semble s’appuyer sur le réseau existant d’institutions financières de la zone Euro.
Une solution pour les particuliers uniquement ? Pas entièrement, et c’est un point important de la fin de ce rapport. Bien que reconnaissant la pertinence de l’infrastructure existante pour gérer les paiements « institutionnels » (TARGET, TARGET2SECURITIES, TARGET Instant Payment Settlement (TIPS)), le rapport ouvre la porte à l’utilisation de l’euro digital pour les transactions institutionnelles et à une infrastructure décentralisée type blockchain pour la gestion des contrats financiers.
L’Euro digital reste aujourd’hui à l’état de projet. Les prochains développements devraient intervenir à partir de mi 2021. Il s’agirait alors d’une phase d’identification du premier MVP (Minimum Viable Product) répondant aux exigences du rapport.
https://www.ecb.europa.eu/euro/html/digitaleuro-report.en.html
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