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Signe de la matérialité des projets de monnaie digitale de banque centrale (CBDC), la Bank for International Settlements (BIS) exprime ses recommandations. Dans son rapport, l’organe international revient sur les principes et choix techniques méritant d’être priorisés dans les projets en cours.

 

Une prise de distance avec les crypto-monnaies privées

La lecture du rapport montre d’abord le scepticisme de la BIS face aux projets privés de devises digitales. De la fraude jusqu’à l’usage criminel du Bitcoin, la liste des défauts s’allonge au fil du rapport…

Il ne s’agit pas de mettre en cause les avancées technologiques de la blockchain. Néanmoins, le besoin d’une réponse publique poussée par les banques centrales ne fait aucun doute.

La BIS met également en avant que les monnaies digitales s’inscrivent dans un contexte global d’évolutions technologiques. En effet, les moyens de paiement instantané comme le TIPS dans la zone Euro sont déjà des avancées significatives dans la modernisation des infrastructures financières.

Dans ce contexte, les monnaies digitales publiques :

  • Limiteront le recours aux mécanismes de crédit interbancaire grâce à un règlement quasi-instantané.
  • Permettront d’utiliser la monnaie de banque centrale plutôt que la « monnaie commerciale » des banques pour les paiements. Elles apportent alors un niveau de garantie ultime comparable aux billets de banque, comme nous l’expliquions dans notre article sur l’Euro Digital.

 

Finalité, Liquidité, Intégrité

Selon la BIS, une banque centrale garante de la monnaie locale doit préserver 3 principes fondamentaux d’un système de paiement :

  • Finalité : la banque centrale s’assure que les balances de paiement entre banques commerciales se rééquilibrent périodiquement
  • Liquidité : si nécessaire, la banque alimente le système de paiement en cas de crise de liquidité (retard de paiements, …)
  • Intégrité : l’utilisateur final d’une monnaie doit pouvoir bénéficier de tarifs compétitifs dans les prestations de paiement. La banque centrale doit donc prémunir le système contre les pratiques anti-concurrentielles. Sur ce point, la BIS rappelle l’exemple chinois, ou 94% du marché du paiement mobile est tenu par 2 entreprises privées…

Ces 3 principes doivent guider les développements des CBDC. Pour la BIS les systèmes de paiement sont, et doivent demeurer, un « bien public ».

Le tableau ci-dessous résume le positionnement des CBDC par rapport aux paiements par cash ou par services de paiement instantanés :

Comparaison entre le cash, les monnaies digitales et les paiements instantanés

 

Une gouvernance dans la continuité du modèle actuel

La BIS marque sa préférence pour:

  • une devise digitale grand public intermédiée,
  • un mécanisme de compte de dépôt de devise digitale très proche du compte bancaire classique.

Dans un précédent article, nous évoquions la préférence de la Banque de Suède sur l’e-krona pour la création d’un porte-monnaie digital plutôt qu’un compte de dépôt.

A l’inverse, la BIS propose une approche par compte. Ce point est particulièrement sensible car il implique un process d’identification de son détenteur (KYC). Les transactions anonymes – telles que permises par le cash – s’en trouvent impossibles. L’accès au paiement restera également limité aux personnes bancarisées, ce qui n’est pas la norme dans les pays émergents.

Techniquement, ce compte pourrait être ouvert auprès d’une banque centrale (mode direct), ou d’un Prestataire en Service de Paiement, banque commerciale ou autre (mode intermédié). Sur ce point, la BIS opte pour la continuité et recommande le mode intermédié. Les établissements commerciaux garderaient donc la responsabilité de l’ouverture d’un compte pour une entreprise ou un particulier.

La séparation des tâches qui en découle est donc très proche du modèle actuel : la banque centrale gère les flux interbancaires et assure la stabilité du système, les PSP gèrent les flux de détail.

 

Gestion des données et vie privée

Conséquence logique de ces choix: toutes les transactions et leurs acteurs deviennent traçables. C’est là que l’épineux problème de la gouvernance des données et de la gestion de la vie privée doit être pris en compte. Plusieurs modèles se dessinent pour gérer l’Identité Digitale de l’utilisateur :

  • Une solution purement étatique à l’image des projets de l’Estonie et de Singapour
  • Une solution hybride privée/publique comme pour l’e-CNY
  • Enfin, une solution privée d’identification mise en œuvre par les géants de la Tech comme Google ou Facebook

Là encore, les approches impliquant les acteurs publics ont la faveur de la BIS.

Dans tous les cas, même si des solutions techniques pourraient permettre un anonymat partiel, l’ère des transactions entièrement anonymes prendrait fin.

 

Au-delà des frontières: le risque de substitution

Pourra t’on demain payer en euro digital hors de la zone Euro?

Pour répondre à cette question, la BIS propose plusieurs modèles pour un monde ou la grande majorité des banques centrales disposeraient de leur devise digitale.  Elle met également en garde contre un nouveau risque accompagnant le développement des CBDC : la substitution.

La possibilité d’utiliser une devise digitale autre que la devise locale doit rester un choix de la banque centrale du pays où a lieu la transaction. Ce principe directeur impliquant une forme de réciprocité, la BIS plaide pour une collaboration étroite entre les banques centrales.

Cette collaboration peut être plus ou moins étroite, allant jusqu’aux projets de multi CBDC (mCBDC). Dans cette approche, un groupe de banques centrales déploierait une plateforme et des règles communes pour l’utilisation de plusieurs CBDC. Plusieurs projets de ce type sont en cours, dont mCBDC Bridge impliquant les banques centrales de Chine, Hong Kong SAR, Thaïlande et Emirats Arabes Unis.

La question de l’identification des porteurs de devises digitales est centrale dans ces projets. En effet, chaque banque centrale devrait pouvoir autoriser ou non l’utilisation de sa devise à partir de l’identité ou de la nationalité des utilisateurs.

Enfin, dans un monde d’échanges transfrontaliers de devises digitales, les banques centrales les plus faibles prendraient le risque de voir une devise étrangère devenir la monnaie de fait pour leur zone. C’est l’effet de substitution, la version moderne et digitale de la dollarisation dont les pays à forte inflation on fait l’expérience. La encore, une dynamique dont les banques centrales chercheront à se prémunir par un contrôle accru de leurs systèmes de paiement.

 

La vision de la BIS sur les développements de CBDC confirme donc certaines tendances des projets en cours. Par exemple, la probable disparition de l’anonymat des transactions. Elle promeut également la coopération entre banques centrales en réponse aux initiatives privées, en droite ligne avec les réactions officielles face à certains projets tels que le Diem (anciennement Libra).

Denis Pantel

Partner